Les médias marocains à l’heure du « Big-Bang numérique »

Publié le par e-commerce


Jamal Eddine Naji, professeur en communication et titulaire de la chair de l’UNESCO en communication à Rabat, a été nommé coordinateur du débat national sur les médias et la société au Maroc. Son rôle est de réfléchir avec les différents acteurs du monde des médias, de la société et du monde politique afin de construire un nouveau paradigme de l’information au Maroc. Des professionnels des médias, les organes représentatifs du secteur, la société civile, des parlementaires, et d’autres politiques ont participé aux différentes tables rondes.

Démocratie, liberté d’expression, éthique, déontologie, mais aussi bouleversements technologiques sont autant d’enjeux pour le journaliste comme pour le citoyen de demain. Ce qui nous interpelle le plus en tant que média internet, c’est évidement la problématique de l’information à l’ère numérique, qualifiée par M. Naji de « Big Bang numérique ». Alors que les organes de presse dans le monde occidental peinent à s’adapter au nouveau contexte, les journaux marocains restent à l’écart de cette révolution technologique.

 

Pourtant les internautes marocains ont déjà entamé leur mue et adoptent en masse la consommation d’informations sur le net. Comment dès lors faire prendre conscience aux décideurs que l’avenir est dans l’adaptation rapide pour accompagner ce phénomène ? Comment éduquer, réglementer ce nouvel espace d’expression ? M. Naji répond à nos interrogations.

 

Vous parlez de big-bang numérique mondial dans le domaine des médias. Quels sont les enjeux de ce bouleversement pour la presse à travers le monde ?


Le débat n’est pas encore tranché pour savoir, par exemple, si le numérique, ou l’électronique, va faire disparaitre le papier pour le secteur de la presse; si la concentration et la convergence dans l’économie de l’information, dans le monde de l’entreprise média, vont faire disparaitre les «médias nationaux» au profit de mastodontes sans nationalité précise, sans ancrage identitaire spécifique, à la faveur de la mondialisation et de son effet pervers en la matière : la «marchandisation» du produit médiatique et sa subordination de plus en plus envahissante à l’e-Commerce. Bouleversement donc copernicien dans les missions, les outils, les contenus, les finalités et même dans les cultures et les identités qui servent jusqu’à présent comme deux points d’équilibre pour l’individu comme pour la communauté.

 

La presse au Maroc et les médias en général ont beaucoup de réticences à adopter le sentier du numérique. Est-ce un problème de mentalité, de cadre législatif oubien de modèle économique ?


Les trois à la fois. La seule piste de solution possible est une stratégie nationale d’apprentissage, de formation et de recyclage des adultes, doublée d’un souci constant de permettre toujours dans tout espace, dans toute activité médiatique, la collaboration intergénérationnelle, grande fécondatrice de capitalisation des expériences et d’encouragement de l’aventure innovante du jeune. Un souci qui doit être présent aussi bien dans les pratiques et les productions que dans la gouvernance des médias.

 

Médias d’informations en ligne, blogs, expression citoyenne sur les plateformes de partage, nous assistons à la genèse d’une nouvelle forme de communication, une nouvelle manière d’informer au Maroc. Le Maroc doit-il adapter son cadre législatif pour prendre en compte la situation complexe du numérique et éviter les dérives ?


Que l’on approche les pure players, les productions du «Net citoyen» (bloggeurs, réseaux sociaux, etc. ..), on ne peut compter que sur deux leviers à la fois : la régulation (par la loi) et l’autorégulation (par l’éthique et la déontologie). Mais avec cette remarque, que dans ce domaine, à peine naissant au Maroc et dans le monde, c’est le deuxième levier qui doit être prééminent, plus fort et plus large et sans cesse mis à jour. Car, la régulation, c’est-à-dire l’encadrement législatif, ne peut soutenir le rythme effréné des innovations et des nouvelles pratiques que génèrent tous les jours ces espaces et ces outils.

 

L’encadrement législatif, comme en témoigne la difficile réflexion encore en cours depuis 2006 par le comité de huit experts des Nations Unies sur une éventuelle «gouvernance de l’Internet», doit se limiter juste aux valeurs et concepts
de référence pour que sa force de régulation préserve au maximum de son étendue la liberté d’expression du citoyen, c’est-à-dire du Net citoyen de nos jours. Mais avec cette remarque extrêmement importante : « le journaliste est citoyen, le citoyen n’est pas un journaliste », comme disait un vétéran du journalisme français.

 

Il faut, par exemple, faire attention à ne pas mélanger les genres comme ce qui arrive quand le «podcast» de la société civile est piraté/utilisé par les médias, un produit qui ne peut prétendre au journalisme, mais que le journaliste doit traiter selon ses règles professionnelles, comme source à vérifier, à recouper, à contextualiser, etc… L’événementiel,
c’est-à-dire l’actualité, est un produit journalistique, le témoignage ou la prise de parole du citoyen, est une forme citoyenne, non journalistique, de l’exercice de la liberté d’expression. Ici, il faut dire qu’il y a un grand rôle pour la société civile à jouer pour la meilleure autorégulation des contenus (réseaux sociaux, association de bloggeurs, médias communautaires ou associatifs,…). Et finalement, il faut garder le pari sur la qualité pour qu’elle soit celle qui tranche en dernière analyse, aux yeux du public.

 

 

Source: Yabiladi MAG – Janvier 2011.

Publié dans TIC

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